Loi sur le voile à l’université : pourquoi le musulman est-il (encore et toujours) un bouc émissaire idéal ?

Le peuple français souffre comme jamais. La croissance est atone, la pauvreté et la précarité s’étendent, les conditions de vie se dégradent, l’horizon économique s’obscurcit. Jamais la France n’a compté autant de chômeurs et il est désormais peu probable que la tendance s’inverse prochainement. La réponse du gouvernement à cette crise sans précédent ? Une énième loi réglementant le port du voile. Une fois encore, si l’on en croit les sondages indiquant une large majorité en faveur de l’interdiction, la mécanique du bouc émissaire semble fonctionner parfaitement… au profit des vrais responsables du désastre actuel.

Faisant suite à loi de 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles et à celle de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, le projet de loi proposé par Manuel Valls entend proscrire le port du voile à l’université. Tous ces textes ont pour effet de créer deux types de citoyens : ceux qui ont le droit d’exprimer publiquement leur appartenance religieuse (les juifs et les catholiques) et les parias (les musulmans) sommés de se plier aux lois de la République (dont les prétendues « racines judéo-chrétiennes » sont régulièrement rappelées dans les discours des élites politiques) leur interdisant tout signe religieux ostentatoire. On assiste à l’instauration d’un véritable racisme d’État qui ne prend même plus le soin de cacher ses intentions. Cette politique qui combine ségrégationnisme et assimilationnisme se généralise en Europe et accompagne une forte montée du racisme réactive à l’aggravation de la crise. De fait, Manuel Valls ne fait que surfer sur la vague d’une opinion de plus en plus islamophobe (voir mon avant-dernier blog à ce sujet). Une fois celle-ci conquise, la mécanique du bouc émissaire peut s’enclencher et fonctionner d’autant mieux qu’elle s’appuie sur les préjugés coloniaux toujours vivaces de nos sociétés occidentales ainsi que sur des réflexes xénophobes – le musulman est parfois aussi un étranger.

La transformation du musulman en bouc émissaire se fait en deux étapes : la stigmatisation par laquelle un ensemble de traits ou de caractéristiques disqualifiantes sont attribués à la communauté immigrée ou à une partie de celle-ci – profiteur des systèmes d’aide sociale, sans attache résidentielle, à l’occasion terroriste mais aussi et surtout voleur, violeur… et voileur –, puis l’affirmation que ces caractéristiques sont à l’origine  des problèmes que connaît le pays[1]. Ce lien entre l’immigration et les problèmes de délinquance ou de tensions sociales dans les banlieues ou les quartiers populaires est le résultat d’une construction produite par les mass media, les professionnels de la politique et les idéologues sécuritaires contribuant à faire exister la fiction d’une menace migratoire. La désignation et le rejet de l’étranger ou du musulman menaçant permettent aux élites politico-médiatiques de réaffirmer le mythe d’une « identité nationale » au-dessus des antagonismes de classe et d’une autorité de l’État soucieuse du maintien de l’ordre, de la défense de la société et de la protection de la  population, en particulier des personnes les plus exposées à la délinquance, tout en focalisant l’attention de l’opinion sur une certaine forme d’insécurité au détriment d’autres, inhérentes au capitalisme, comme l’insécurité économique et sociale. Il s’agit encore et toujours de diviser pour mieux régner…. Cette stratégie de diversion est à nouveau utilisée, au moment même où la souveraineté économique de la France, mise à mal par les contraintes de plus en plus lourdes imposées par l’Europe communautaire, pose problème…. De ce point de vue, le nationalisme ou la préoccupation identitaire peuvent être lus comme une réaction à l’érosion de la souveraineté de l’État-Nation, conséquence de la mondialisation du capitalisme et de l’internationalisation des politiques économiques[2]. Il n’est pas anodin, par exemple, que le débat sur « l’identité nationale » ait été lancé par l’ex-ministre Eric Besson à l’automne 2009, au plus fort de la crise financière…

La victime sacrificielle est choisie en fonction de sa vulnérabilité sociale, de son exposition et de sa visibilité, critères qui minimisent le coût de son exclusion. Ceux-ci font de la communauté musulmane un bouc émissaire parfait : dominé économiquement et géopolitiquement, isolé socialement. Les politiques sécuritaires prenant pour cible l’immigration ou les immigrés peuvent alors servir de base justificatrice aux agressions racistes dont ils sont régulièrement victimes. Celles-ci, combinées au harcèlement policier, sont facteurs de désordres urbains justifiant en retour ces mêmes politiques sécuritaires. On relève en effet une nette surreprésentation des étrangers ou des enfants d’étrangers parmi les victimes des violences policières[3]. La boucle est ainsi bouclée pour le plus grand profit de la minorité – non musulmane – qui bénéficie du statu quo économique et social.


[1] Voir mon livre La révolution sécuritaire (1976-2012) aux Éditions Champ social.

[2] Sur cette question voir M. Bietlot, « Le camp, révélateur d’une politique inquiétante de l’étranger », Cultures & Conflits, n° 57, printemps 2005, pp.221-250.

[3] F. Jobard, « Les violences policières » in Crime et sécurité, l’état des savoirs, op.cit., pp. 210-212.

27 réflexions sur “Loi sur le voile à l’université : pourquoi le musulman est-il (encore et toujours) un bouc émissaire idéal ?

  1. C’est difficile d’écrire ce qui suit mais il faut bien tirer les conclusions de ce que l’on observe.

    Dans les années trente la situation économique est catastrophique. Plutôt que de s’attaquer aux causes de cette situation, les journaux ne cessent de parler du « problème juif ». Je me souviens d’une banale émission de radio de cette époque entendue voici peu d’années où l’on présentait les Juifs comme un ensemble richissime, oisif, accapareur, ayant des usages commerciaux que l’on dirait aujourd’hui maffieux, etc.

    Aujourd’hui la presse et les politiques ne peuvent plus s’attaquer aux Juifs. Alors on remplace ceux qui faisaient du pain avec du sang d’enfants chrétiens par ceux qui voilent des femmes et contaminent d’honnêtes citoyens en leur refilant de la viande hallal.

    C’est de la guerre civile de basse intensité. En attendant l’escalade ?

  2. Bruits de bottes en Syrie : après l’ennemi intérieur, l’ennemi extérieur ? – Nicolas Bourgoin

  3. Bonsoir professeur,

    Contente de vous lire !!
    Vous ne voudriez pas intervenir en tant que consultant auprès de notre gouvernement ??
    C est de personnes comme vous dont la population musulmane a besoin !!
    Vous avez expliqué a merveille la stratégie de notre cher gouvernement !!
    Merci pour cet article

    • Bonjour Lynn
      « C est de personnes comme vous dont la population musulmane a besoin »
      Je dirais plutôt : C’est de personnes comme vous dont la population française a besoin.
      Nous n’avons jamais vu une puissance économique (cœur du problème) avec une nation divisée.

      Si vous me permettez je vais répondre à votre proposition : « Vous ne voudriez pas intervenir en tant que consultant auprès de notre gouvernement ?? »
      Le gouvernement se passera volontiers du professeur, un peu trop clairvoyant, sauf si celui ci a des idées pour continuer à détourner l’attention des français.
      Le peuple veut du pain et des jeux, et un responsable si les deux viennent à manquer.

  4. Votre analyse est juste mais elle serait complète si vous aviez souligné la trahison des imams de France qui ne jouent pas leur rôle en accompagnant les croyants, en les éduquant, les instruisant, les apaisant … et c’est un sujet tout aussi désespérant que celui que vous dénoncez !!!

    • Je suis loin de partager ce point de vue, qui est un préjugé sournois et un nouvel alibi pour continuer à stigmatiser les mêmes, mais avec la conscience apaisée cette fois-ci. (« c’est vrai, mais c’est quand même de sa (leur) faute, pas de la mienne ! »). Et le tour est joué !

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