Nicolas Bourgoin, né à Paris, est démographe, docteur de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales et enseignant-chercheur. Il est l’auteur de quatre ouvrages scientifiques : "La révolution sécuritaire (1976-2012)" aux Éditions Champ Social (2013), "La République contre les libertés. Le virage autoritaire de la gauche libérale" (Paris, L'Harmattan, 2015), "Le suicide en prison" (Paris, L’Harmattan, 1994) et "Les chiffres du crime. Statistiques criminelles et contrôle social" (Paris, L’Harmattan, 2008). "Les Quatre cavaliers. 1. Apocalypse orange" (Gunten, 2016), premier volet d'une trilogie, est son premier roman.
Violent, caricatural et grossier, le dernier film de Cédric Jimenez ne fait pas dans la dentelle. Il ne doit son succès qu’à sa parfaite congruence avec l’idéologie dominante (l’air du temps) raciste et réactionnaire. Il le doit aussi et surtout à la promotion qu’en a faite la presse d’extrême-droite, notamment CNews et Valeurs Actuelles, certaines personnalités comme Marine le Pen ou Laurent Obertone. Le timing parfait de sa sortie sur les écrans démontre son objectif : à six mois des présidentielles, recentrer encore davantage le débat sur les questions sécuritaires et identitaires afin d’évincer la gauche au second tour. Alors dangereux ce film qui encense la BAC (pourtant bien peu reluisante) ? Qui stigmatise sans vergogne les jeunes des quartiers populaires ? Oui, et d’autant plus que cette véritable incitation à voter RN ne suscite en France que peu de critiques (la presse étrangère étant visiblement la seule à s’en émouvoir). Le texte que nous reproduisons ci-après en est une heureuse exception.
Et si l’Histoire avait pris fin sous les auspices communistes ? Si le monde avait définitivement changé de base ? Si l’URSS avait gagné la troisième guerre mondiale ? Ce sont les hypothèses qu’explore Nicolas Bourgoin dans son dernier roman, politique et uchronique « Apocalypse 2029 ». Plongée en apnée dans la France soviétique de 2021…
Eric Michel : Pourquoi ce nouveau roman ?
Nicolas Bourgoin : Peu de gens le savent, mais l’humanité a frôlé l’holocauste nucléaire il y a une quarantaine d’années. Dans la nuit du 25 au 26 septembre 1983, précisément. Une fausse alerte sur une base russe près de Moscou qui aurait pu très mal finir. L’Occident n’a dû son salut qu’à la clairvoyance et au sang-froid de l’officier de garde qui a choisi de désobéir au protocole, estimant à juste titre qu’il s’agissait d’un simple dysfonctionnement du système de défense anti-missiles. Cette épisode de la guerre froide m’a donné l’idée d’écrire un roman d’uchronie : que se serait-il passé si Stanislas Petrov avait fait le choix d’ordonner la riposte militaire ? S’il y avait eu une troisième guerre mondiale remportée par les Soviétiques ? Comment serait la France de 2021 ?
Eric Michel : Sur quoi tu t’es basé ?
NB : Pour ce qui est de la guerre proprement dite, sur les simulations imaginées par les militaires. Pour que ce qui est de l’état de la société française : sur ce qu’on savait des démocraties populaires dans les années 80. Étatisation, planification de l’économie, socialisation des biens collectifs, forte protection sociale, gratuité du logement et de la santé, priorité donnée à la culture, au sport, à l’éducation ainsi qu’à la conquête de l’espace (dans mon roman, on a des colonies sur Mars et sur Vénus !). C’est le communisme tel qu’il a été mais aussi tel qu’il aurait pu être une fois la guerre froide terminée.
EM : Il y a aussi un fort contrôle social et une surveillance des citoyens…
NB : Oui, comme les pays socialistes ont pu le connaître en raison de la course aux armements et de l’espionnage dont ils était victimes pendant la guerre froide. La volonté de contrôle s’explique évidemment par les tensions géopolitiques. Dans mon livre, un attentat sur le sol parisien attribué aux terroristes sud-coréens (dernier bastion capitaliste dans un monde communiste) entraîne un tour de vis sécuritaire et un flicage accru des citoyens, à tel point que certains se demandent si l’attentat n’était pas commandité par les services secrets français pour contrer le processus de libéralisation politique. La présidence du Parti a changé et la femme qui est désormais sa tête veut lutter contre la bureaucratie et promouvoir la démocratie ouvrière (rendre le pouvoir au peuple) ce qui crispe passablement les apparatchiks et tous ceux qui profitent du statu quo.
EM : Quelques mots sur les personnages ?
NB : Ils sont rapidement présentés dans la quatrième de couverture : Simon Rosenberg « le pirate des ondes », personnage autant mythique que mystique, Natacha l’interrogatrice-mentaliste, François le personnage principal qui évoque celui du film Lacombe Lucien, Pauline et Aniouchka qui vont jouer un rôle décisif dans l’histoire, Boris ou Michel (je n’en dit pas plus sous peine de spolier !).
EM : Sur les pilules ?
NB : Oui évidemment les fameuses pilules de Soleil Levant sur lesquelles je ne peux non plus pas dire grand-chose sauf qu’elles tirent le récit vers la science-fiction, un genre qui s’accorde parfaitement avec l’uchronie.
EM : Et le titre ? L’action du roman est censée se dérouler en 2021…
NB : Même motif, même punition : ce saut temporel (qui en réalité n’en est pas vraiment un…) est un ressort important de l’intrigue !
Objectif 2022. Englué dans une crise sanitaire et financière qu’il a lui-même contribué à créer par son incompétence, l’exécutif se lance dans une surenchère raciste et fascisante. Gérard Darmanin, non content d’avoir dissout une association de lutte contre l’Islamophobie, tente de doubler Marine Le Pen par la droite en lui reprochant sa mollesse sur l’Islam, tandis que Macron chasse sur les terres du Rassemblement National et glorifie le Maréchal Pétain. Sans oublier le ministre de l’enseignement supérieur qui puise sans vergogne dans la rhétorique de l’ultra-droite pour stigmatiser les intellectuels et les musulmans, suscitant la juste réprobation de certains universitaires. En ces temps de crise, rien ne vaut la bonne vieille tactique du bouc émissaire. Mais la guerre contre les musulmans ne vise pas qu’une simple communauté. Ses victimes collatérales ne sont rien de moins que la liberté d’expression et les droits démocratiques. L’article que nous présentons ci-après pointe les dangers considérables de cette politique liberticide dont le fer de lance est la mal-nommée « loi contre le séparatisme ».
Le 23 janvier dernier, les mass-médias affirmaient sans détour que la question n’était pas de savoir s’il y aurait un troisième confinement, mais quand il débuterait précisément : « Troisième confinement : ce n’est plus qu’une question de jours », titrait ainsi le JDD. Mais le prince est magnanime et souhaite en définitive attendre de disposer de tous les « éléments scientifiques » au sujet de l’efficacité de la première quinzaine de couvre-feu à 18 heures ainsi que l’étendue de la circulation du variant britannique du COVID-19. Tel est le discours officiel tenu le 26 janvier par les principaux relais télévisés de Radio-Paris. Il n’y a guère que dans la presse écrite où l’on peut trouver un son de cloche un peu différent, au détour d’un article publié sur le site internet d’Europe 1, qui nous concède que la motivation première du report de l’intervention de Mr Macron provient du fait qu’ « il craint la réaction des Français ».
Le Premier ministre a déposé à l’Assemblée nationale un projet de loi pérennisant la gestion de l’urgence sanitaire. En soi, la formulation est surprenante, car soit il y a une urgence (et par définition elle ne peut être pérenne) qu’il est possible temporairement de traiter de manière exceptionnelle et proportionnée, soit il n’y a pas d’urgence et rien ne justifie la normalisation d’un régime d’exception. Mais il est vrai que le Covid est définitivement devenu un instrument de changement de notre société, ce que prévoit ce projet de loi avec une vision carcérale au quotidien, puisqu’il y aura toujours un virus actif : l’autorisation de circuler et de travailler n’est reconnue qu’aux personnes saines, le prouvant par un test et pouvant être conditionnée au vaccin. Ce n’est pas un mauvais roman SF, c’est la nouvelle normalité. Nos « progressistes » ne sont pas capables de nous proposer autre chose. Peut-être est-il temps de les aider à partir ?
Comme nous l’avons déjà démontré, le Capital financier atlantiste a décidé d’utiliser la pandémie de COVID-19 comme prétexte d’un Grand Reset visant à sauver les meubles face à la contradiction majeure de notre époque : l’effondrement structurel inéluctable du marché intérieur des pays impérialistes occidentaux en déclin.
Leurs élites, totalement impuissantes face à l’émergence multiforme de l’impérialisme chinois et à la substitution du « consommateur chinois » comme principal stimulant de la croissance économique mondiale, une perspective assumée publiquement par l’ancien premier ministre J.-P. Raffarinsur CCTV-F le 8 avril 2009, ont décidé que le temps était venu de finir ce qui a été commencé il y a plus d’une décennie :
La destruction des chaînes dorées de l’esclavage salarié pour quelques centaines de millions de prolétaires occidentaux relativement privilégiés. En 2007, dans notre ouvrage Impérialisme et anti-impérialisme, nous insistions déjà sur les perspectives économiques et sociales structurellement défavorables :
« Il est essentiel de comprendre que dans les pays bourgeois-révisionnistes, l’octroi « d’acquis sociaux » de la part des exploiteurs dépend des conditions économiques internationales. La bourgeoisie d’un pays impérialiste puissant et dynamique peut accorder à ses travailleurs des « adoucissements » à l’exploitation. En revanche, une bourgeoisie dont les débouchés tendent à rétrécir de manière relative (par rapport à ses concurrents) ou absolue, fera tout pour réduire à néant d’anciens « acquis sociaux ». (…)
Le blog internet d’un patron français relatait récemment son entretien avec un homologue chinois. Il rapportait qu’au cours de la conversation, il avait lancé au patron chinois que dans quelques années la Chine aurait une législation sociale et des acquis sociaux comme en France. Le patron chinois lui répondit lucidement, non sans ironie : « certes, mais à ce moment vous les aurez perdu en France » !
Quand on parle du fascisme, ils est d’abord essentiel, comme pour l’étude de la réalité économique et sociale soviétique, de s’attacher à s’élever au-dessus des mythes colportés par les médias et l’enseignement bourgeois. De leur point de vue, le fascisme serait d’abord synonyme de nazisme, et serait également le frère jumeau du « communisme », et en particulier du stalinisme, qui serait également le fruit d’une démence humaine… La naissance du fascisme ne serait pas inhérente au capitalisme, mais serait un « accident de l’Histoire » ayant émergé à cause de la prétendue folie d’un homme. On se garde bien d’expliquer comment cette folie a pu ensuite étreindre de vastes couches de la société allemande… Le fascisme serait caractérisé par le racisme (l’antisémitisme notamment) et la violence systémiques. En bref, le fascisme est ravalé à une dimension aussi idéaliste que psychologique ignorant les forces structurelles économiques et sociales qui ont présidé à son émergence en tant que force politique de premier plan.
Affiche du régime collaborateur de Vichy (1942)… Que de points communs avec les cibles de la situation actuelle !
Eric Michel : le mot « histoire » est à prendre dans quel sens ?
Nicolas Bourgoin : dans les deux qu’il peut avoir. 2008 est d’abord une fiction classique, une rencontre fortuite entre des personnages qui n’ont pas grand-chose en commun, sur fond de crise des subprimes. C’est un roman social. Mais j’ai aussi voulu faire une histoire de cette crise en prenant les péripéties du récit comme un révélateur de tensions économiques qui affectent la vie de chacun. Comment l’irruption d’une catastrophe économique peut changer les comportements et les destins des individus ? De façon variable, évidemment, car nous ne sommes pas tous égaux pour nous battre face à la crise : certains la subissent de plein fouet, d’autres y échappent, d’autres même en tirent profit.
Ainsi que nous l’avions pressenti, la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 est la révélatrice de toutes les autres. Très rapidement, chacun y est allé, à juste titre, de son domaine d’expertise pour considérer l’évidence qui allait promptement s’imposer : remise en question cette fois-ci rédhibitoire d’une Union européenne parfaitement inutile voire nuisible, incapable de protéger qui que ce soit et occupée, pendant que chacun tente de survivre, à intégrer en son sein déjà obèse l’Albanie et la Macédoine du Nord (on comprend vraiment l’urgence du dossier).