Surveiller et prévenir, l’ère de la pénalité prédictive

Eric Michel : Qu’est-ce que la pénalité prédictive ?

Nicolas Bourgoin : La pénalité classique consiste à sanctionner un acte déjà commis ou ébauché, dans la pénalité prédictive ou préventive il s’agit d’intervenir en amont pour empêcher sa commission. Cette gestion « proactive » peut prendre deux formes : une surveillance systématique de la population visant à construire des profils de comportements suspects au moyen d’algorithmes, une surveillance ciblée pour extraire de l’information sur des individus déjà identifiés. Dans les deux cas, ça passe par un travail de renseignement : pouvoir anticiper suppose de connaître.

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La police prédictive débarque en France

Mercredi 15 avril, 16 heures 05. Assis dans la salle de réunion en compagnie d’une quinzaine de ses collègues, l’agent Murder écoute le sergent faire son rapport sur les incidents de la matinée. Et elle est déjà bien remplie : deux agressions avec arme, une tentative de viol, trois cambriolages et cinq vols de voiture. D’un coup de télécommande, le sergent allume un écran d’ordinateur dont l’image est projetée au mur et apparaît alors un plan détaillé de la ville, sur lequel on distingue dix petits carrés rouges : un carrefour, un square, un centre commercial, un terrai de sport… Ce sont les « hot spots », les points chauds à surveiller en priorité. D’après l’ordinateur connecté au système PredPol (contraction de Predictive Policing) les délits ont une forte probabilité de se concentrer, au cours des douze prochaines heures, dans ces carrés de 150 mètres carrés représentant une infime fraction de la superficie de la ville…

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Apocalypse orange.

À l’occasion de la sortie de mon premier roman, je retrouve Eric Michel pour une longue interview que je présente ici en intégralité.

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Eric Michel : Bonjour. On te connaît surtout pour tes travaux scientifiques et tes essais politiques. Pourquoi un roman ?

Nicolas Bourgoin : La fiction a été un prétexte pour développer certaines analyses de façon moins rébarbative que dans un écrit académique. Certains auteurs ont suivi cette voie, je pense notamment à Lucien Cerise avec Oliganarchy. La question de la surveillance des populations, celle du conditionnement médiatique ou encore celle de la guerre anti-subversive qui forment la matière de mon roman sont traitées de manière plus vivante et plus accessible que dans un ouvrage théorique. Et le procédé de l’uchronie permet de décentrer le regard porté sur notre société, de la redécouvrir à partir d’un point de vue différent. Lire la suite

Réforme pénale : un pas de plus vers la dictature politique

Les députés débattent à partir d’aujourd’hui de la réforme pénale destinée à « renforcer la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorer l’efficacité et les garanties de la procédure pénale » comme son intitulé l’indique. Un texte à haut risque pour les libertés publiques selon le défenseur des droits, Jacques Toubon, qui redoute un abaissement de la démocratie et des droits fondamentaux. En effet, il ne s’agit ni plus ni moins que de constitutionnaliser l’état d’urgence en inscrivant certaines de ses dispositions, propres à la lutte antiterroriste, dans le droit commun pour faire en sorte que l’exception devienne la règle. Même le député Les Républicains Patrick Devedjian s’est inquiété d’un texte qui banalise la surveillance de masse des citoyens et donne des pouvoirs exorbitants à la police administrative. Mais l’exécutif pourra sans nul doute compter sur la grande majorité des élus de l’UMPS pour valider une réforme dont la fonction première est de museler la contestation sociale, à l’image de l’état d’urgence.

 

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RFID : la police numérique arrive et ses pouvoirs sont illimités.

Vivre avec une puce électronique sous la peau, c’est désormais possible et même recommandé. Les Implant parties fleurissent un peu partout en Europe et l’une est d’ores et déjà prévue à Paris le 13 juin, organisée par le collectif de biohackers suédois Bionyfiken. Au menu : conférences (en anglais) et pose d’implants NFC (garantie indolore). Festives et hi-tech, ces soirées vantent les mérites de cette dernière folie technologique qui ouvre un peu plus la voie au transhumanisme : plus besoin de badge pour s’identifier, de carte bancaire pour payer ou de code pour déverrouiller son smartphone ou son ordinateur. La puce permet aussi le stockage de données personnelles directement lisibles sur un terminal de lecture. Selon ses promoteurs, il s’agit avant tout d’améliorer nos capacités d’êtres humains par la biotechnologie et d’optimiser notre rapport à l’environnement, en bref nous faciliter la vie et nous rendre plus efficaces. Il s’agit aussi de préparer l’opinion publique à ce qui sera demain la norme quand les pouvoirs publics rendront le puçage obligatoire.

Pratiqué aux Etats-Unis depuis une dizaine d’années, le puçage cutané s’étend rapidement en Europe. Certaines entreprises suédoises proposent déjà l’implant de puces à leurs employés afin de les rendre plus productifs et en Espagne elles servent de moyens de paiement dans certaines discothèques. Mais l’affichage promotionnel du procédé cache mal sa finalité réelle. Les volontaires de ce marquage électronique dernier cri sont en réalité les cobayes d’un projet d’envergure qui vise ni plus ni moins qu’à rendre l’individu totalement transparent et à le livrer pieds et poings liés aux dispositifs de surveillance et de contrôle.

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La loi sur le renseignement, un texte pour museler la contestation sociale

Le scénario apparaît immuable : un attentat ultramédiatisé suscite une vive émotion collective, le gouvernement promet une réponse à la hauteur du péril et fait passer une énième batterie de mesures liberticides en procédure d’urgence. La loi sur le renseignement qui sera votée le 5 mai ne fait pas exception, loin s’en faut, se voulant conjurer l’attaque meurtrière contre Charlie Hebdo, l’un des points forts du système de domination médiatique. Et tout comme les précédentes, elle a un spectre d’action bien plus large que la seule menace terroriste contre laquelle elle est censée lutter comme le montre la liste de ses objectifs officiels :

– la prévention des atteintes à l’indépendance nationale, à l’intégrité du territoire et à la défense nationale, aux  intérêts majeurs de la politique étrangère et aux intérêts économiques industriels et scientifiques majeurs de la France,

– la prévention du terrorisme

– la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale, de la reconstitution ou d’actions tendant au maintien de groupements dissous.

– la prévention de la criminalité et de la délinquance organisée

– la prévention de la prolifération des armes de destruction massive

En ligne de mire, donc : les lanceurs d’alerte, les syndicalistes, les manifestants de tous bords, les zadistes, les indépendantistes, la dissidence politique,… en gros tous ceux qui contestent la politique du gouvernement par des actions parfois radicales. La loi sur le renseignement est un texte sur mesure pour combattre l’opposition politique.

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Justice prédictive et surveillance globale : demain tous suspects ?

La future loi sur le renseignement qui légalise la surveillance de masse sous couvert de guerre contre le terrorisme a fait les choux gras de la presse dominante. Mais cette énième loi liberticide qui suit de près la loi sur le terrorisme de novembre dernier, la loi sur la géolocalisation de mars 2014 et la loi de programmation militaire de décembre 2013, n’est que le point d’orgue d’un processus qui a débuté il y a une dizaine d’années : le basculement progressif du droit pénal dans un régime préventif. La traque obsessionnelle des individus dangereux ou des comportements suspects aux fins d’éradiquer les menaces avant même qu’elles ne se concrétisent était déjà l’un des axes forts du rapport Bauer de 2008. Avec les mesures antiterroristes mises en place par l’actuel exécutif, le « décèlement précoce » des foyers de subversion est plus que jamais à l’ordre du jour et cette nouvelle doctrine de sécurité est sans doute la plus terrifiante arme de destruction massive des libertés publiques jamais inventée.

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Le gouvernement va instaurer un régime de surveillance renforcée

La tragédie de Charlie Hebdo est une véritable aubaine pour l’exécutif. Union nationale (et même internationale) affichée – avec à la clé une probable remontée dans les sondages –, coup d’accélérateur donné aux interventions militaires de la France au Moyen-Orient, tensions intercommunautaires et agressions répétées contre des musulmans ou contre leurs lieux de culte  renforçant le pouvoir par effet de division et, last but not least, alourdissement à venir de l’arsenal antiterroriste qui va encore laminer un peu plus ce qu’il reste de libertés publiques. L’histoire récente montre que les événements dramatiques comme les attentats sont propices à toutes les régressions sécuritaires. Et pour ce qui est de serrer la vis et de renforcer le système de domination, la classe politique n’est jamais à court d’imagination. La députée UMP Valérie Pécresse propose même de s’inspirer du Patriot Act étasunien ! Rappelons que cette loi votée dans la foulée des attentats du WTC avait renforcé les pouvoirs des agences gouvernementales américaines, légalisé les écoutes téléphoniques, la surveillance des e-mails, des dossiers médicaux, des transactions bancaires, créé un statut juridique de « combattant ennemi » ou « combattant illégal » autorisant les Etats-Unis à arrêter et inculper sans limite des personnes suspectées de terrorisme et à incarcérer sans procès de détenus sur la base américaine de Guantanamo. Nous sommes encore loin de ce régime législatif mais les propositions de l’exécutif vont clairement dans cette direction en banalisant la surveillance des citoyens.  Lire la suite