« Guerilla » de Laurent Obertone : pourquoi un tel succès ?

Le succès éditoral de Guerilla ne faiblit pas. Parti sur les chapeaux de roues (30.000 exemplaires ont été écoulés le mois de sa sortie), le livre marche toujours aussi bien deux ans après, figurant encore dans le peloton des 1000 premières ventes sur Amazon. Comment expliquer ce phénomène ? Bien que le roman ait largement bénéficié de l’intérêt et du soutien des médias au moment de sa sortie en tout cas ceux ancrés à droite (contrairement à ce qu’affirme l’auteur) ainsi que des réseaux islamophobes ou identitaires, le buzz ne fait pas le best-seller, loin s’en faut. Invoquer ses qualités littéraires intrinsèques ? À vrai dire, elles font plutôt défaut. Au lieu du choc annoncé dans de la bande-annonce tapageuse et racoleuse dont les sulfureuses éditions Ring se sont fait une spécialité, c’est plutôt du toc qui attend le lecteur. Écrit à l’emporte-pièce, décousu et morcelé, passant d’un personnage à un autre sans unité d’ensemble, le roman se contente d’aligner avec complaisance scènes de pillages, de lynchages et de meurtres jusqu’à l’écoeurement. Et lesdits personnages ne brillent pas par leur finesse. Les portraits prétendument sociologiques (le journaliste bobo, le militaire en retraite, l’antifa, le militant identitaire,…) sont grossiers et caricaturaux, sans nuances. Tout est artificiel, outrancier, invraisemblable jusqu’au nom du Président de la République (franchement, qui oserait s’appeler Jacques Chalarose ?).

Alors quoi ? Pour expliquer ses ventes, Laurent Obertone invoque souvent ses positions à contre-courant des médias officiels. Mais est-ce vraiment le cas ? Et si au contraire Guerilla devait son succès à sa parfaite conformité à l’air du temps ?

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Une étincelle peut mettre le feu à toutes la plaine

Guerilla est le troisième volet d’une trilogie débutée avec La France orange mécanique et poursuivie avec La France Big Brother, deux essais dont nous avons déjà dit sur ce site tout le mal que l’on pouvait en penser. Guerilla s’inscrit dans leur droite ligne même si le genre emprunté, la fiction, est cette fois différent. Mais on comprend très vite que l’histoire est surtout là pour illustrer les thèses politiques de l’auteur tant elle est simpliste. Son résumé tient en quelques mots : une intervention policière dans une cité tourne à la bavure, les émeutes provoquées font tâche d’huile, les barbares sont lâchés dans les rues et la France s’effondre en 3 jours. « Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine », écrivait Mao Zedong. Mais il est peu probable que l’auteur ait eu en tête cette référence… De fait, on ne saura rien sur les mécanismes qui ont conduit à un tel embrasement, sur la nature des réseaux à l’œuvre, sur la manière dont « les barbares » arrivent à se mobiliser comme un seul homme, s’armer, recruter des contingents de réfugiés, se coordonner pour occuper toute l’étendue du territoire, des campagnes reculées aux centres névralgique, bloquer tous les commissariats, violer au passage 30.000 femmes rien qu’à Paris et le tout en moins de 3 jours. Et quand tous les canaux de communication sont coupés (ce qui arrive très vite), comment arrivent-ils encore à communiquer entre eux ? Par le téléphone arabe ? À moins de penser que les protagonistes sont déjà entièrement conditionnés, tapis dans l’ombre et attendant leur heure, rien ne permet d’expliquer un tel déferlement de violence parfaitement planifiée. Plutôt fâcheux quand il est rappelé en quatrième de couverture que les événements décrits « reposent sur le travail d’écoute, de détection et les prévisions du renseignement français ».

World War Z chez les identitaires

Privé de ce ressort essentiel, Guerilla se cantonne dans le roman-catastrophe invitant le lecteur « à vivre l’apocalypse des trois derniers jours de la France » (écrit en rouge sur la quatrième de couverture). Et sur ce point, ledit lecteur ne sera pas déçu car ça vire très vite au jeu de massacre genre film de zombies : oh les étudiants anarcho-écolos-LGBT passés à tabac par un groupe de « jeunes subsahariens » (sic) ! Oh la blogueuse gauchiste violée par un noir « souriant de toutes ses dents » (une version trash de « Y’a bon Banania » ?) et livrée ensuite à un Émir ! Oh le journaliste bobo liquidé par un néo-nazi fou de la gâchette ! Oh le juge rouge écrasé par un camion aux mains d’un terroriste en herbe ! Oh les militants identitaires tabassés par les flics ! (un peu fratricide, certes, mais on apprend juste après que, constamment rivés derrière leur écran, ils n’ont pas l’habitude de se frotter au réel et que l’ultradroite active, la vraie, n’était pas là, dommage pour eux) Oh les villageois brûlés vifs dans leur église par des djihadistes cruels et pervers qui s’empressent de proclamer leur califat islamique en hissant leur vilain drapeau noir avant d’aller cramer d’autres églises ! (tant qu’ils auront de l’essence, est-il précisé). Oh l’islamiste qui abat un Airbus décollé de Roissy avec un missile sol-air histoire de s’échauffer et qui poursuit en mettant à feu et à sang un centre commercial Ikea ! Oh les pilleurs barbus massacrés par des commerçants asiatiques ! (le multiculturalisme a finalement des vertus cachés) Oh l’hôpital mis à sac et ses patients torturés par une armée de barbares ! Oh l’attentat sur le site pétrochimique de Berre-l’Étang et ses centaines de victimes ! (d’autres attentats plus terribles encore échouront heureusement, il faut dire que les terroristes sont quand même assez bêtes). Oh le Président de la République venu tranquillement les mains dans les poches, accompagné de sa Ministre du Vivre-ensemble (sic), à la cité Taubira (re-sic) se faire lyncher par la foule d’émeutiers qu’il tente de raisonner…

Dans ces portraits (grossièrement) brossés aux seules fins d’exposer les thèses islamophobes de l’auteur, on voit très vite se dessiner les deux camps principaux et leurs alliés. Dans celui du mal : la masse indifférenciée des barbares primaires et analphabètes, généralement noirs ou arabes, violeurs à l’occasion, (forcément) antisémites, n’hésitant pas à lancer des appels à « cramer les feujs », parfois habillés en survet, parfois enturbannés histoire de donner une touche exotique. S’y ajoutent leurs soutiens actifs : les bobos-vegans-écolos-gauchos-féministes caillaisseurs de flics, et les syndicalistes avec leur couteau entre les dents. Les premiers sont constamment tournés en dérision, les seconds présentés sous un jour menaçant (l’épouvantail communiste même usé jusqu’à la corde fait toujours son petit effet). Dans le camp du bien : les militants identitaires qui veulent en découdre et plus généralement tous ceux qui ont le courage de prendre les armes, sans oublier les forces de l’ordre que l’auteur subdivise en deux groupes : ceux qui pêchent par angélisme ou excès de naïveté, respectueux du règlement et des citoyens toutes ethnies confondues, n’hésitant pas à jouer les infirmières en soignant les blessés de l’autre camp au péril de leur vie (il faut dire qu’ils sont plus ou moins affiliés à la franc-maçonnerie, tout s’explique) et ceux (les vrais durs) qui ont déjà compris que la seule chance de s’en tirer est de leur rentrer dedans sans sommation.

Le choc des civilisations, nouvelle idéologie dominante

Car ce que décrit l’auteur est carrément une guerre civile – et même une guerre tout court au vu de l’arsenal employé – opposant la camp occidental judéo-chrétien à la barbarie islamiste. Et dans Guerilla, les choses sont bien tranchées : aux premiers, la culture et la civilisation, aux seconds, la haine et les armes. Le roman ne fait ainsi qu’illustrer par la fiction la fameuse théorie du « choc des civilisations » remise au goût du jour par Samuel Huntintgon après la chute du mur de Berlin. Prenant acte de la décomposition de l’Union Soviétique, elle affirme que le conflit civilisationnel fondé sur le substrat religieux s’est substitué aux clivages idéologiques qui organisaient les rapports géopolitiques entre l’Est et l’Ouest. Conséquence de la chute du communisme, la civilisation occidentale serait désormais menacée le réveil d’un Islam radical et conquérant.

Cette nouvelle idéologie dominante néoconservatrice et belliciste a servi de justificatif idéologique aux guerres menées par l’Empire contre les peuples d’Orient. À l’échelle nationale, elle a façonné un nouvel ennemi intérieur socio-ethnique, tapi dans les zones grises des banlieues, tour à tour (parfois simultanément) émeutier, trafiquant et terroriste. Dès le tournant des années 1990 mais plus encore depuis les attentats du 11 septembre, le mythe de la cinquième colonne islamiste devient un classique de la littérature sécuritaire. Il y a 20 ans déjà, Richard Bousquet et André-Michel Ventre, tous deux proches d’Alain Bauer, agitaient le spectre d’une « rencontre explosive au cœur des banlieues d’exclusion, de jeunes beurs en rupture sociale, d’une réislamisation superficielle menée par des imams charismatiques, de héros du djihad international en quête de nouveaux combats et de commanditaires étrangers désireux d’exporter en France leurs conflits nationaux ou d’y créer des réseaux de soutien » (Insécurité : nouveaux risques. Les quartiers de tous les dangers, L’Harmattan, 1998). Voilà qui fait curieusement résonance avec la réalité décrite par Laurent Obertone.

Abondamment relayée par les médias officiels contrairement à ce qu’affirme l’auteur, cette nouvelle idéologie sécuritaire mâtinée de néocolonialisme gagne peu à peu les esprits. L’image de l’Islam ne cesse de se dégrader dans l’opinion tandis que la guerre contre le terrorisme, omniprésente dans notre environnement socio-politique, est érigée en principe de gouvernement. En agitant la peur d’une guerre civile opposant les français de souche à la communauté arabo-musulmane, Guerilla ne fait que surfer sur ces fantasmes belliqueux en leur apportant un débouché fictionnel. Il doit son succès précisément à cette adéquation entre les thèses qu’il défend et les schémas de pensée inculqués par les médias : si Guerilla passe aussi bien, c’est que le terrain idéologique sur lequel il se déploie a été préparé depuis longtemps.

Guerilla, de la fiction à la réalité

Guerilla est un roman idéologique par excellence dont le seul intérêt est d’offrir une forme presque pure de ce nouveau prêt-à-penser sécuritaire. Mais ce qui fait son succès fait aussi ses limites en produisant une impression d’artificialité. Un lecteur doté d’un minimum de culture sociologique ou criminologique ne peut qu’être révulsé par les raccourcis, les invraisemblances manifestes, les inversions accusatoires ou les contre-vérités qui parsèment le roman.

Laurent Obertone n’hésite pas à tordre le cou au réel pour faire passer ses idées. Un tabou prive les policiers de l’usage de leur arme (p.14) en particulier sur les gens de couleur (p.61) ? En réalité, le nombre de meurtres commis par les policiers est en augmentation et les personnes issues de l’immigration ou les étrangers en sont les principales victimes. Les médias (Le Figaro compris) condamnent l’islamophobie (p.136), minimisent sciemment la délinquance des personnes issues de l’immigration, et au besoin pratiquent la désinformation (p.47) pour ne pas faire le jeu de l’extrême-droite (p.21) ? L’islamophobie médiatique ne cesse de progresser de même que les scores du Front National. La meilleure preuve en est que Guérilla n’a provoqué aucune indignation médiatique alors qu’il se complaît dans l’essentialisme le plus grossier. Mention spéciale au magasine Slate qui « ose poser la question du racisme » et y répond en affirmant que Guérilla « cultive parfois l’ambiguïté » (sic).

L’auteur ne répugne pas non plus à défier les réalités sociologiques, rendant sa fiction encore plus improbable. Non, les bobo-gauchos ne se pacsent pas avec des vigiles congolais (p.32) mais se marient plutôt entre eux comme tout le monde, les jeunes LGBT, écolos ou vegans habitant les beaux quartiers  ne défilent pour soutenir leurs frères relégués des cités (p.49) ça se saurait, les conditions des détenus ne s’améliorent pas bien au contraire (p.66), les médias dominants ne prêchent pas l’anticolonialisme (p.113) loin s’en faut, les flics peuvent matraquer d’autres groupes que les identitaires et ne se privent pas de le faire (p.155).

On ne saurait mieux illustrer la fonction même de l’idéologie selon Marx : produire une image inversée de la réalité qui fait écran à celle-ci afin de manipuler l’opinion.

Laurent Obertone, marchand de peur

Sous les images de la fiction, le message est clair : il faut résister à « l’invasion ethnique » (pour rester poli) et en tout cas se préparer à la guerre civile. Pas de quartier, les faibles et les lâches seront exterminés. Ne pas voir cette urgence est au choix suicidaire ou criminel. Les militants associatifs, antiracistes ou progressistes, oeuvrant pour l’égalité et les droits des plus faibles, constituent la cinquième colonne de cette guerre qui vient (dans le roman, les anarchistes qui tentent de pactiser avec la racaille se font impitoyablement massacrer). Hors de la confrontation armée bête et méchante contre les « barbares » et leurs alliés « islamo-gauchistes », point de salut. Laurent Obertone est un marchand de peur et la peur est lucrative par les temps qui courent si l’on en croit le succès éditorial de ses livres. Mais elle est souvent mauvaise conseillère. Faut-il répéter une nouvelle fois que stigmatiser les migrants et les musulmans ne peut qu’alimenter le mal que l’on prétend combattre ? Que la problématique identitaire dont l’auteur a fait son fond de commerce ne sert qu’à masquer la question sociale pourtant essentielle ? Et, last but not least, que la théorie du choc des civilisations est une prophétie auto-réalisatrice ?

Nicolas Bourgoin

 

Pour une analyse fictionnelle du phénomène identitaire, lire du même auteur Soleil Noir.

3 réflexions sur “« Guerilla » de Laurent Obertone : pourquoi un tel succès ?

  1. On rira quand vous allez vous faire défoncer la gueule par des Congolais pour votre portable et que la Police ne prendra pas la plainte pour viol de votre fille par des « sub-sahariens ». Merci de penser à moi ce jour là.

  2. Je trouve cette ‘critique’ assez de gauche pour être honnête.
    Le livre force le trait sur certains personnage mais on en est pas loin tout de même.
    combien de politiques, journalistes etc… oeuvrent et défendent le multiculturalisme et se confrontent réellement au communautarisme?
    Dans le livre, la ‘rue clément Meric’ est tout à fait immaginable dans la vraie vie.
    Et votre phrase: Faut-il répéter une nouvelle fois que stigmatiser les migrants et les musulmans ne peut qu’alimenter le mal que l’on prétend combattre?

    Effectivement… Mais ce qu’on fait actuellement c’est tout l’inverse…. Sinon, Obertone passerait à la télé.
    vous dites qu’il fut médiatisé…. Je dirais que non, en tout cas pas dans les chaines de la TNT (à ma connaissance) pour ce livre. Ce sont ces chaines là les plus accessibles…

    Pour ma part, j’ai trouvé le roman assez réaliste, se situant dans un futur proche mais bien sur avec des éléments exagérés.

    Enfin, vous parlez de bavure, mais dans le livre ils n’ont pas le choix les 3 policiers sont encerclés et on commence à les fracasser. Ou est cette bavure?

  3. Que Nicolas Bourgoin écrit bien !! Ses propos sont si beaux et si moraux ! A travers son article, on sent tout l’orgueil du fonctionnaire universitaire, petit expert démographe qui nie probablement l’existence du « grand remplacement » ethnique et génétique qui affecte la population française. Et nous, qui lisons avec difficulté les ouvrages de Laurent Obertone, nous ne sommes que des Zombies ! Nous ne sommes, d’après Mr Bourgoin, que des « lecteurs dépourvus d’un minimum de culture sociologique ou criminologique », ce qui explique que nous ne soyons « pas révulsés par les raccourcis, les invraisemblances manifestes, les inversions accusatoires ou les contre-vérités qui parsèment le roman ». Pour Mr Bourgoin, nous sommes forcément des bœufs décérébrés, des esprits malléables et fragiles. Pour le vaniteux et moraliste Bourgouin, Laurent Obertone ne serait qu’un gros con qui n’a sans doute jamais lu Mao Zedong. Mr Bourgoin, lui, il a lu Zedong, d’ailleurs, cette référence littéraire n’a d’utilité que de vanter sa propre supériorité culturelle !
    Qu’ils sont beaux ces donneurs de leçons, ces censeurs de la pensée ! Nicolas Bourguin doit être ce genre de gars qui défend ardemment la liberté d’expression, mais uniquement celle des personnes qui sont d’accord avec lui (un vrai p’tit BHL !). Qu’il aille enseigner la géographie dans le 9-3, il va moins rigoler le p’tit Bourgoin !

    Cdlt, Arthurus

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