« La France Big Brother », le nouvel enfumage idéologique de Laurent Obertone

On ne présente plus Laurent Obertone (un pseudonyme), journaliste, écrivain et essayiste-polémiste, tant le succès de son précédent opus, la France Orange Mécanique a été impressionnant. Pas moins de 200.000 lecteurs, longtemps premier au classement Amazon des essais d’actualité, une diffusion importante grâce au premier distributeur de France, des relais médiatiques prestigieux. Il constitue le premier volet d’une trilogie dont « La France Big Brother » à nouveau préfacé par Xavier Raufer, vieux routier de l’extrême droite anticommuniste, est le second (la sortie du troisième est d’ores et déjà prévue pour janvier 2017). Et s’il est un reproche que l’on ne peut faire à l’auteur c’est bien celui de l’inconstance : ce dernier livre s’inscrit dans la continuité du précédent en véhiculant autant de préjugés identitaires et déclinistes. Dans sa droite ligne, si l’on peut dire. Muni de la même rhétorique de l’anti-politiquement correct, l’auteur prétend détricoter la pensée dominante forcément « de gauche » et progressiste. La France Big Brother à contre-courant ? pas si sûr…

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Laurent Obertone est né en 1984. Cela ne s’invente pas et sera l’un des rares traits de légèreté (celui-ci involontaire) dans cette somme de poncifs (souvent) catastrophistes assénés sur un ton sans appel. Le propos est simple : Big Brother gouverne et soumet l’individu, par ses institutions et ses agents, à un conditionnement qui le fait vivre dans un monde factice, aliénant et déshumanisé, notre monde. Le procédé est original mais systématique : Big Brother ou ses émissaires s’adressent tour à tour sous forme épistolaire à « Monsieur Moyen » (auquel le lecteur s’identifiera sans peine) pour lui dévoiler les ressorts de la domination dont il est l’objet. Le Parti, les journalistes, les intellectuels, l’École, les artistes contemporains, etc. lui détaillent sur un ton impersonnel, cynique et désabusé les méthodes de conditionnement qu’ils appliquent pour faire de lui un être domestique, complètement dépendant d’une société maternante et infantilisante. Procédé inhabituel mais habile car la forme choisie – à mi-chemin entre l’essai polémique et la fiction – et surtout son écriture à la deuxième personne du singulier, placent le narrateur en retrait et le dispensent ainsi de tout effort démonstratif. Quasi-dépourvu de notes de bas de page ou de références explicites – mises à part quelques citations empruntées à des écrivains ou des philosophes – le livre se réduit ainsi à une somme de révélations énoncées sur le ton de la confidence. On sera donc invité à croire sur parole le narrateur par la voix de ses personnages quand il nous explique, pêle-mêle qu’il « existe davantage de garçons surdoués que de filles surdouées » (p.162), que « la majorité des gens ne veulent pas de femmes au pouvoir » (p.171), que « plus de 80 % d’une classe d’âge » a aujourd’hui le bac (p.202), que « près de 30 % des jeunes sont illettrés » (p.205), qu’un professeur de lycée gagne 3389 euros (net) (p.207), que Christiane Taubira est « une primate » (p.229), que « Matisse dessinait très mal » (p.283), etc. De fait, un certain nombre d’erreurs ont déjà été relevées dans cet alignement de poncifs. Mais elles sont finalement secondaires dans un ouvrage qui se présente avant tout comme un pamphlet et privilégie le message sur le contenu factuel.

Dénoncer le conformisme intellectuel dominant, celui de la « gauche morale » et de ses valets médiatiques, est une intention louable. Montrer la soumission au politiquement correct qu’il suppose, ainsi que le rôle actif des intellectuels accrédités par le système dans ce formatage des consciences est un exercice parfois réjouissant dont l’auteur s’acquitte non sans un talent certain (mention spéciale au portrait sans concession qu’il brosse de BHL). Mais d’autres auteurs s’y sont déjà essayés et avec autrement plus de profondeur critique. Pour la dénonciation du journalisme de révérence, citons entre autres Serge Halimi (Les nouveaux chiens de garde), pour l’analyse de la (re)production de l’information Pierre Bourdieu (Sur la télévision), pour la critique des intellectuels médiatiques, Dominique Lecourt (Les piètres penseurs), pour celle du formatage de la pensée par la « langue de bois », Eric Hazan (LQR. La propagande au quotidien) et pour celle du nivellement culturel Gilles Châtelet (Vivre et penser comme des porcs). Des travaux évidemment discutables mais armés d’une réflexion analytique qui fait malheureusement défaut à « La France Big Brother ».

Ainsi, ce qui fait l’intérêt du procédé en marque aussi ses limites : Laurent Obertone s’en remet à Big Brother, entité désincarnée, détachée du (pays) réel, sans visage et sans âme – on en apprendra un peu plus sur lui à la toute fin du livre – quand d’autres mettaient en jeu des forces sociales pour analyser les ressorts de la domination et de la soumission. La France de Big Brother est sans structure ou antagonismes de classe et l’artifice de l’homme moyen est bien utile pour cacher les disparités sociales. Face à Big Brother et ses agents, le conglomérat indifférencié des sans-grade.

Le procédé choisi n’est pas que rhétorique, sa visée est aussi démonstrative : le conditionnement de Big Brother nous fait vivre dans une modernité artificielle et contre-nature tout en nous la faisant désirer. Elle nous éloigne de ce que l’auteur appelle le « réel », la forme naturelle de la société. Car celle-ci est biologique avant d’être culturelle – d’où une référence insistante à l’eugénisme et aux lois quasi-naturelles qui gouvernent le comportement social (morceaux choisis : « le pouvoir seul intéresse les hommes », p.53 ou « les mâles choisissent un physique, les femelles un rang social », p.151 ou encore « nos cerveaux ont été conçus il y a des millions d’années pour s’enthousiasmer devant un beau paysage », p.278).

La révolution c’est la réaction. Un des intérêts et non le moindre du travail de Laurent Obertone est de nous montrer les arcanes d’une certaine pensée conservatrice, identitaire et islamophobe, obsédée par le fantasme du déclin. Exercice d’autant plus précieux que cette idéologie est aujourd’hui dominante dans le champ intellectuel et médiatique, contrairement à ce qu’affirme l’auteur. Rappelons que Marine Le Pen ( qui recommande la lecture de son livre ) est avec Florian Philippot la personnalité la plus invitée dans les matinales à la radio, qu’Eric Zemmour dont il est politiquement proche est chroniqueur au Figaro Magazine, sur RTL et dans diverses émissions de télévision sur des chaînes généralistes, que Michel Houellebecq est une star et pas seulement en France… Laurent Obertone lui-même a bénéficié d’un battage médiatique considérable pour son précédent livre et la grosse artillerie est à nouveau mobilisée pour celui-ci. Mais il est toujours délicat de reconnaître que l’on est adoubé par le système quand par ailleurs on prétend le combattre…

L’enfumage est fumeux. Sous la dénonciation souvent incisive et percutante du consumérisme, du conditionnement médiatique, du nivellement intellectuel ou de la standardisation culturelle, sous la référence omniprésente au roman de George Orwell dont quelques citations sont habilement intercalées dans le texte, se cachent les vieux poncifs de la rhétorique réactionnaire. La modernité coupe l’homme de ses racines naturelles en niant l’inné et le fonctionnement normal de l’espèce (sélection naturelle, instinct, concurrence, inégalités naturelles, souffrance, sexualité, etc.) afin de l’assujettir (« le progressisme, c’est une méthode de domination », p.63) et finalement le précipiter à sa perte (« l’inégalité (…) est sans doute ce qui a permis à notre espèce (…) de survivre jusqu’à maintenant », p. 168).

Laurent Obertone nous livre ainsi un travail profondément idéologique au sens premier du terme : compris comme l’ensemble des idées, des valeurs et des normes servant à légitimer l’état actuel de la société. Or, contrairement à ce qu’il affirme, notre celle-ci est profondément injuste, les inégalités ne cessant de se creuser en France et ailleurs dans le monde. Exalter un ordre primitif fondé sur la sélection naturelle et l’élimination des plus faibles, naturaliser les hiérarchies sociales pour les légitimer définitivement permet finalement de discréditer toute politique correctrice de redistribution des richesses ou de protection des plus faibles. Loin d’être une critique anti-élite comme le prétend son auteur, ce travail ne peut que contribuer à renforcer le système de domination : la subversion c’est le pouvoir.

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Lire ici une interview à propos de mon dernier livre, La République contre les libertés

27 réflexions sur “« La France Big Brother », le nouvel enfumage idéologique de Laurent Obertone

  1. « La France Big Brother , le nouvel enfumage idéologique de Laurent Obertone – «Nicolas Bourgoin | salimsellami's Blog

  2. vous parlez de la grosse artillerie mobilisée pour le nouveau livre d’Obertone : pourriez-vous nous indiquer dans quels médias on a pu le voir ou l’entendre récemment SVP Merci

    • Ce que je connais d’Etienne Chouard me semble intéressant et aller dans la bonne direction : redonner du pouvoir politique aux citoyens avec l’écriture d’une nouvelle constitution, redonner du pouvoir économique en sortant de l’UE et en retrouvant notre souveraineté monétaire. Ok aussi avec ses analyses sur l’UE (projet fasciste). Et quelqu’un qui raconte qu’Alain Soral est de gauche m’intéresse davantage que tous ceux qui le traitent de fascistes sans connaître ses travaux. La question est bien entendu de savoir sur quel pouvoir politique s’appuyer pour mettre en oeuvre cette nouvelle constitution… je n’ai pas de réponse, peut-être qu’Etienne Chouard donne des éléments là-dessus

  3. Je n’ai pas lu le livre d’Obertone et me garderai donc bien d’en dire ce que j’en pense. Par contre, pour prendre un peu (et même beaucoup) de hauteur par rapport aux bouleversements en cours, pas seulement en France mais dans le monde (car la crise que nous vivons est à l’évidence planétaire, et touche particulièrement ce qu’il est convenu d’appeler les « démocraties occidentales »), je vous conseille très fortement le livre de François Roddier « Thermodynamique de l’évolution », auquel j’ai consacré un court billet beaucoup moins fouillé que le vôtre sur La France Big Brother :

    http://aitia.fr/erd/thermodynamique-de-levolution/

    L’approche est strictement scientifique (l’auteur est physicien) et pourra dérouter pas mal de lecteurs, mais la vision proposée, très originale (l’évolution au sens très large vue comme un processus physique, de l’apparition de la vie à l’évolution culturelle en passant par l’évolution génétique) me semble très éclairante pour comprendre la nécessité d’une « transition de phase » culturelle planétaire. Car c’est bien là que tout se joue : si les media sont aujourd’hui un enjeu si important, c’est que la vraie bataille se livre au niveau des consciences, qu’un petit nombre d’individus essaie de manipuler à leur profit.

    Or sans la croyance en l’information qu’ils délivrent, les tyrans ne sont plus rien…

    Enfin, ce livre nous laisse penser à la fois qu’un effondrement de civilisation se prépare, et qu’en même temps que ce qui suivra ne sera pas un retour en arrière, mais au contraire une étape supplémentaire de l’évolution humaine. Il n’est donc en rien « réactionnaire », mais plutôt « progressiste »… tout en restant d’une neutralité toute scientifique.

      • slt nicolas

        vu ce que tu en dis ce triste personnage d obertone doit etre honore d etre critique par toi si negatifs soient t es propos envers sa plume felonne

        je m abstien donc de lui cracher au visage ou de lire son torchon de crainte de purifier sa sale figure

        meme mon seant vaut mieux que ca pour s essuyer

  4. Lis bien ma recension, je ne suis pas aussi négatif que ça ! le livre est bien écrit, certains passages sont très bons notamment ceux où il s’en prend au politiquement correct, tout n’est pas à jeter, loin de là dans ce livre. Je ne suis pas d’accord avec ses thèses principales, c’est tout ! et quant au personnage je me garderais bien de le juger, je ne le connais pas ! bien à toi

    • c est bien ca que je critique severement chez ce genre de personnages qui savent integrer des elements exacts dans leurs discours alors meme que volontairement et peut etre a leur insu aussi ils servent la cause felonne qu ils pretendent decrier

      c est la definition meme des sophistes traites glisseurs de quenelles servant de fort vilaines causes les leurs exclusives et plus encore celles de leurs maitres machiaveliques

      quand je parle de personnage je me refere au sens latin de personna qui veut dire masque et qui s apparente au jeu en societe

      idem pour figura en latin ou vient le mot figure signifiant mime ou facon d etre prise devant une societe

      baudelaire parlait de l air d intelligence ou de compassion je connais la chanson d avance

      l individu l etre humain qu il y a derriere ces manigances de manipulation d opinions des lecteurs donne aucune envie d en savoir plus sur lui ou de le critiquer lui meme

      c est plus clair j espere

      • cg jung dialectique du moi et de l inconscient

        ce germanophone aimait tellement la langue francaise qu il l utilisait sans cesse a merveille tout au long de ces livres

        a tel point qu il m arrivait souvent de trouver mal formulees les phrases de ses textes traduits

        et comme par hazard il etait souvent annote en francais dans le texte en bas de la page

        a tes heures perdues tu y gagnera du temps

        t as le droit de censurer ce commentaire certains vont encore penser que j etale mon peu de savoir comme la confiture sur mes tartines beurrees

        alors que c est faux jmange tres peu de pain faute de ble noir

        ou blanc quand il y a que ca mais meme ca ca se fait rare

  5. « Exercice d’autant plus précieux que cette idéologie est aujourd’hui dominante dans le champ intellectuel et médiatique »

    C’est absolument faux. Prétendre que les idées identitaires ou présentées comme xénophobes ou bien même islamophobes seraient dominantes au sein de la superstructure politico-médiatique est une douce plaisanterie, qui ferait rire si l’affirmation ne se voulait pas sérieuse.

    Rappelons déjà que lors des dernières présidentielles, un sondage mettait en évidence que les 3/4 des journalistes avait voté à gauche (PS,FDG,EELV), dont on connait la faible propension à soutenir des thèses identitaires, ou même seulement patriotes ! Seule une infime fraction (3%) s’étaient portés sur le vote MLP, largement sous-représentée parmi cette profession par définition très exposée médiatiquement, et dont on ne peut douter surtout (personnellement je n’en doute plus) que les éléments diffusent, que dis-je matraquent, leur inclinaison idéologique à travers leurs tribunes et éditoriaux.

    Zemmour (et quelques rares autres) est l’exception qui confirme la règle. Sa pensée vous semble à tord surexposée seulement pour la raison qu’il écrase, lamine, pulvérise tous les contradicteurs qui lui sont opposés, qui sont autant d’agent de propagande au service de l’oligarchie, et qu’il ruine leur verbiage et leur crédibilité.

    Zemmour n’a-t-il pas été évincé de chez Ruquier hier, de iTélé aujourd’hui ? N’appelle-t-on pas à son limogeage de ses autres postes ? Ce serait encore une fois inintelligible s’il était réellement le porte-parole d’une oligarchie trop heureuse de trouver en lui un débatteur hors pair. Ca ne tient pas.

    En revanche, que la pensée de Zemmour soit largement partagée par une majorité de plus en plus écrasante de nos concitoyens, il n’y a là pas de doute. Mais cette aspiration légitime du peuple majoritaire ne correspond aucunement à ce que souhaite et promeut en toute occasion l’idéologie dominante. Or il convient ici de rappeler Marx : « l’idéologie dominante est l’idéologie de la classe dominante ». Sauf à croire que ledit peuple serait l’expression de la classe dominante, chacun conviendra qu’il est grossier d’assimiler les nobles idées d’identité, de patrie, de nation, de frontière, de peuple, à la doxa dominante. C’est une supercherie.

    • c est marant que tu parles de zemmour c est l exemple prototypique meme du sophiste subventionne par le systeme

      obertone en est un pale stereotype et tous ceux qui les suivent d aussi tristes archetypes d ndividus poutant pourvus de grandes qualites intellectuelles

      mais pour quelle raison s interdire de depasser l idee de l ineluctabilite du chocs des civilisations tant promus par l oligarchie

      peut etre a trop regarder les defauts des francais de branches tu omets de voir tous les fruits feconds qu il offrent au pays

      comme ce courageux policier qui a donne sa vie pendant l exercice de ses fonctions

      sacrifice qui a permis grace a des cameras amateurs de reveleles l action de 2 de ses collegues traitres la nations qui loin de le secourir au sol instamment jouaient leur petit theatre d ombre au service de ceux qu il est inutile de nommer tellement ils sont derriere tous les coups fourres

      quel jeu de dupe et qui peut faire encore serieusement mine d y croire

  6. En 1928 paraissait un petit livre écrit par Edward Bernays Propaganda, avec le sous-titre : « comment manipuler l’opinion en démocratie ».
    Le premier chapitre de Propaganda s’intitule « organiser le chaos ». La première phrase du texte est celle-ci : « La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige le pays ». Bernays entend simplement démontrer la valeur de la propagande !

  7. J’ai acheté le livre sans connaître cet homme qui est Obertone, et je le regrette fortement de lui avoir donné de l’argent ses propos ne tiennent pas la route, il dit que nous sommes,pauvres français totalement manipulé incapable de réfléchir par nous même étant sous la domination d’un parti politique. Ses propos sont sexistes, à la limite du racisme et les seuls politiciens et médias qu’il attaque et qui de son point de vue nous manipuleraient sont uniquement des personnes de gauche. De plus comment peut-il dire que nous sommes entièrement manipulé, alors que ces propos ne sont aucunement nuancé, il affirme et ne fait que cela, il ne propose aucunes possibilités pour sortir de ce censément cercle vicieux… Finalement on pourrait dire qu’a travers ses propos c’est lui qui veut instaurer une France de Big Brother. Il joue sur les sentiments, il semble dire des choses qui sont vraies, mais quand on regarde de plus près ce n’est que du blabla au point de donner la nausée. Il utilise un roman de science fiction qui est fantastique, pour défendre des propos ignobles!!!. Je ne le conseil pas du tout, c’est lui qui pratique l’aliénation, qui à travers ses affirmations sans fondements fait en sorte que nous ne puissions plus réfléchir.Il joue sur les sentiments pour abrutir les gens. Enfaite il fait tout ce qu’il est censé dénoncer dans son livre… Breff je vais être vulgaire c’est une merde ce livre…

  8. « Guerilla  de Laurent Obertone : pourquoi un tel succès ? – «Nicolas Bourgoin

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