La Révolution sécuritaire

Eric Michel : Bonjour, tout d’abord une question naïve : qu’est-ce que la révolution sécuritaire ?

Nicolas Bourgoin : C’est un bouleversement complet dans le traitement pénal de la délinquance et plus largement dans la réaction de l’appareil d’État aux désordres sociaux. En moins de 40 ans, nous sommes passés d’un modèle humaniste fondé sur la prévention sociale et le reclassement des déviants à une fuite en avant dans le tout répressif. Et ce basculement a des conséquences très concrètes : réduction des libertés publiques, multiplication des dispositifs de surveillance, accroissement des violences policières et des gardes à vue, traques aux sans papiers, augmentation spectaculaire du nombre de détenus, fichage généralisé des populations,…

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EM : Le terme de « révolution » semble être ici à contre emploi : révolution est généralement synonyme d’émancipation…

NB : Oui mais il existe aussi des révolutions conservatrices ! Révolution est ici pris dans son sens premier : mouvement circulaire qui fait revenir au point d’origine. La révolution sécuritaire fait du neuf avec du vieux en recyclant les vieilles recettes punitives. C’est un retour aux sources du code de 1810 dans sa version épurée : un moyen pour la bourgeoisie de défendre son pouvoir politique et ses institutions contre les illégalismes populaires et les poussées contestataires. C’est, plus concrètement, le retour à une justice de classe.

EM : En quoi le marxisme t’a servi dans ton analyse ?

NB : Il m’a permis de dépasser les analyses classiques qui se cantonnent souvent au descriptif. Beaucoup d’ouvrages ont été publiés en France sur les politiques sécuritaires, environ une trentaine depuis 2002, mais la grande majorité les considèrent comme un phénomène sui generis ou une mode passagère liée à la couleur politique de la Chancellerie. Or les politiques sécuritaires sont durables et dépendent bien davantage des cycles économiques que des alternances gouvernementales. Elles sont mises en place par la bourgeoisie quand les contradictions du capitalisme, exacerbées par la crise, deviennent ingérables par les méthodes qu’elle employait jusqu’alors, en particulier la régulation par des politiques sociales protectrices et redistributrices. La force brute du pouvoir étatique est alors mobilisée. Cela renvoie à la conception marxiste de l’État comme appareil de contrôle et de répression au service de la classe dominante et bien sûr à l’analyse du fascisme que faisait Georges Dimitrov. La politique sécuritaire est un fascisme moderne.

EM : Pourquoi ces dates : 1976-2012 ?

NB : 1976 est l’année de rédaction du rapport Peyrefitte qui est le premier acte de la révolution sécuritaire. Le pouvoir bourgeois a besoin d’un outil pour casser les résistances populaires à l’austérité instaurée par le gouvernement Barre dans un contexte de crise économique naissante. On a fait bien sûr du répressif avant, en particulier sous le ministère Marcellin, mais pas de manière systématique et globale. Ce rapport a une double fonction : produire un écran de fumée idéologique pour cacher les effets délétères de la crise naissante, justifier les politiques de lutte contre la « violence » (le terme est omniprésent dans le rapport) avec le vote des premières lois sécuritaires : plan Vigipirate (1978), période de sûreté (1978), lois Bonnet (1980) et Sécurité et Liberté (1981). 2012 marque la fin de l’escalade sécuritaire avec le retour de la gauche aux « affaires ». Mais s’il n’y a pas de vote de nouvelles lois, il n’y a pas non plus de retour en arrière. C’est donc davantage un « Thermidor », une pause dans un processus révolutionnaire, qu’une contre-révolution.

EM : Peut-on sortir de la révolution sécuritaire ? et comment ?

NB : Le sécuritaire est le produit de deux facteurs combinés : la crise économique, d’une part, l’incapacité des États à y répondre avec les méthodes classiques de réduction de la pauvreté et des inégalités sociales (du fait notamment de la « supranationalisation » des politiques économiques et des pressions des « marchés financiers ») d’autre part. Les États nationaux ont de moins en moins la main sur les questions économiques et sociales et cherchent à retrouver une légitimité avec les politiques de « tolérance zéro », de fermeté face aux désordres nés des frustrations sociales. Cette évolution économique globale est caractéristique du stade impérialiste du capitalisme que décrit Lénine : financiarisation du capital, militarisation de la production, accélération du libre-échange, formation de monopoles (multinationales) avec toutes leurs conséquences : multiplication des crises de surproduction, des guerres et des conflits sociaux. Le sécuritaire est un effet direct de ce processus de décomposition économique et sociale et durera tant que durera le capitalisme à son stade terminal. Seul un changement radical de société (une vraie révolution cette fois !) pourra être à même de le mettre au placard.

La Révolution sécuritaire (1976-2012) est encore disponible !

4 réflexions sur “La Révolution sécuritaire

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