La (bonne vieille) stratégie sécuritaire de Manuel Valls.

Ceux qui attendaient un tournant progressiste après 10 années d’hystérie sécuritaire en seront pour leurs frais. La réforme pénale présenté par la Chancellerie, qui n’a pas manqué d’attirer les foudres de la droite… et de Manuel Valls, se trouve d’ores et déjà compromise. Dans la droite ligne de son prédécesseur, le Ministre de l’Intérieur a soumis les propositions progressistes de Christiane Taubira aux feux d’une critique 100 % sarkozienne. Les réformes envisagées sont pourtant bien timides et les critiques largement infondées. Jugeons plutôt.

La lutte contre la surpopulation carcérale

« Ce projet de loi part d’un premier postulat que je ne peux intégralement partager : la surpopulation carcérale s’expliquerait exclusivement par le recours « par défaut » à l’emprisonnement, et par l’effet des peines planchers « , écrit Manuel Valls dans sa note adressée à François Hollande. Exemples européens à l’appui (soigneusement choisis), le ministre de l’Intérieur poursuit : « nous ne pouvons totalement ignorer la question du dimensionnement du parc immobilier pénitentiaire« . En clair : il faut construire de nouvelles places de prisons. Mais, ici comme ailleurs, l’offre crée la demande. L’extension du parc carcéral, loin d’apporter une réponse durable au problème de la surpopulation, ne fait qu’alimenter l’inflation carcérale comme cela a été constaté dans les pays ayant fait ce choix politique[1].

La peine de probation

La peine de probation consiste en « l’obligation pour la personne condamnée d’être soumise, pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans et qui est fixée par la juridiction, à des mesures d’assistance, de contrôle et de suivis adaptées à sa personnalité et destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société, tout en respectant certaines obligations ou interdictions justifiées par sa personnalité ou les circonstances de l’infraction ». Jugé flou par Manuel Valls, « ce projet de loi, porteur d’une mesure phare, la peine de probation, entretient un malentendu car cette mesure nous paraît manquer sa cible, à savoir la prévention de la récidive et la réduction de la population carcérale « . Elle permettrait pourtant de désengorger les prisons en proposant une alternative à l’incarcération pour les délits (qui constituent la très grande majorité des infractions pénales passibles d’emprisonnement). D’autre part, répondant à Manuel Valls pour qui la « réforme nécessaire de la filière de probation n’est pas entamée ». la Chancellerie rappelle que les besoins en nouveaux conseillers d’insertion et de probation « sont chiffrés entre 108 et 280 selon les hypothèses sur le nombre de probationnaires (entre 16 000 et 25 000) et le nombre de sorties encadrées pour les condamnés à moins de cinq ans (entre 50 % et 80 % des condamnés) » et que les 300 postes créés devraient permettre à chaque conseiller de suivre 60 personnes (contre une centaine actuellement). Enfin, toutes les enquêtes menées sur le plan international convergent sur un point : l’inefficacité de l’emprisonnement ferme sur la prévention de la récidive [2].

Les méthodes de prévention de la récidive

« Je ne partage pas l’affirmation selon laquelle « les évolutions législatives constituent le socle de la réforme » visant à prévenir la récidive« , poursuit Manuel Valls dans sa lettre. Elles ne font, selon lui, que reproduire les méthodes autoritaires du précédent gouvernement. « Au contraire, le socle d’une réforme réside d’abord dans la transformation profonde des structures porteuses de ce changement, c’est-à-dire des parquets, qui déterminent le volume et la nature de la production judiciaire, et de la direction de l’administration pénitentiaire, qui doit valoriser dans son organisation même le milieu ouvert« . Selon le ministre de l’Intérieur, la transformation du fonctionnement des parquets devrait constituer « l’acte 1 de la réforme« . S’appuyant sur une enquête de l’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales, Manuel Valls ajoute : « ce projet de loi repose sur un troisième postulat ; la pertinence de traiter de la récidive en général, à charge pour le juge d’individualiser, alors que je soutiens, partant de la réalité criminologique, que nous devons traiter dans la loi plus finement des récidivistes, qui obligent, pour certains, à une exigence accrue de prévisibilité et de fermeté de la loi pénale. » En clair : il faut sévir et imposer une nouvelle fois une sanction pénale à des personnes sur lesquelles elle n’a eu jusque là aucun effet.

« Cette étude (de l’ONDRP) n’a aucune portée générale puisqu’elle repose sur un échantillon de personnes sélectionnées justement parce qu’elles sont mises en cause dans plusieurs affaires« , lui répond justement Christiane Taubira.

La suppression des peines planchers

Alors que le projet de loi prévoit la suppression des peines planchers introduites par le précédent gouvernement, Manuel Valls serait davantage favorable à un assouplissement, pour « concilier de façon équilibrée et cohérente les nécessités d’une répression aggravée de la récidive pour certains profils de délinquants« , explique-t-il dans sa note envoyée à François Hollande[3].

Les peines planchers équivalent à « 4.000 années d’emprisonnement supplémentaires par an » et « le taux de récidive de 56 % reste inchangé depuis 2007« , rappelle de son côté la Chancellerie. Selon l’Inspection Générale des Services Judiciaires, la mise en œuvre des peines minimales est responsable d’une augmentation annuelle de la population carcérale évaluée à 2,5 %[4]. Si son effet sur la récidive apparaît nul, en revanche elle contribue nettement à l’inflation carcérale… François Hollande avait promis durant la campagne présidentielle de supprimer les peines planchers, contraires au principe de l’individualisation des peines, et de le remplacer par un nouveau dispositif anti-récidive.

Les aménagements de peines

Le projet de loi prévoit que pour les peines de moins de 5 ans, la situation soit « obligatoirement examinée par le juge de l’application des peines afin que soit prononcée une mesure de sortie encadrée« , c’est-à-dire une mise en semi-liberté, une libération conditionnelle ou un placement sous bracelet électronique. Le ministre met en cause l’automaticité de certaines réductions ou aménagements de peine et se déclare très hostile au principe d’une sortie automatique aux deux tiers de la peine, en particulier pour les récidivistes. Il est contre-productif de s’opposer à cette mesure : les études indiquent que les aménagements de peine, en particulier la libération conditionnelle, font globalement baisser la récidive [5].

Manuel Valls, homme du changement… dans la continuité

Il ne fallait pas trop attendre de Manuel Valls, vrai rocardien mais faux socialiste, libéral et autoritaire, prosioniste et islamophobe, ami de longue date d’Alain Bauer et adepte de la politique du bâton – et de la matraque[7]. Mais sa politique à l’image de celle que le gouvernement mène dans le domaine économique à dépassé les pires prévisions (voir ses récentes sorties sur l’Islam et la politique migratoire lors du séminaire de rentrée de l’Elysée). On peut légitimement se demander si elle n’est pas un équivalent, dans les affaires de sécurité intérieure, du tournant de l’austérité : une rupture franche et probablement définitive avec la période où la gauche essayait[8], tant bien que mal, d’atténuer les rigueurs de l’économie de marché et celles du Code Pénal. La nomination de Manuel Valls à l’Intérieur aura permis au PS d’achever sa mue sécuritaire commencée il y a tout juste 20 ans (voir sur  ce blog « L’état policier c’est maintenant« ). Mais la poursuite par l’actuel gouvernement de la politique sécuritaire menée sous le précédent n’est que la contrepartie de ses choix économiques en faveur du libéralisme et de l’austérité – choix en grande partie contraints par l’appartenance à l’Europe communautaire. D’où la volonté du gouvernement de reprendre la main en se recentrant sur ses missions régaliennes – justice et police. Pour cette raison, on peut s’attendre à un arbitrage en faveur de Manuel Valls – dont la ligne politique droitière s’attire d’ailleurs les faveurs de l’opinion si l’on en croit des sondages –, et donc à un durcissement du texte d’ici au vote de la loi. Interrogé sur France Inter mercredi dernier, Jean-Jacques Urvoas, le président socialiste de la commission des lois à l’Assemblée nationale, en accord avec la ligne défendue par Manuel Valls, a d’ailleurs exprimé son opposition à la mise en place d’un système de libération conditionnelle d’office, l’une des propositions phares du texte. La philosophie pénale progressiste et humaniste qu’incarne Christiane Taubira fera sans doute les frais du recentrage autoritaire du gouvernement que les échéances électorales ne peuvent que durcir et accélérer.


[1] Les conditions de détention en France, Rapport de l’OIP, Éditions La Découverte, 2011.

[2] Voir Didier Fassin, « Les peines de prison ferme n’empêchent pas la récidive », Le Monde.fr, 13 août 2013.

[3] Réforme pénale : les points de désaccord entre Valls et Taubira, Le Nouvel Observateur, 13 août 2013.

[4] Voir mon ouvrage La révolution sécuritaire (1976-2012), Champ social, 2013.

[5] De la dénonciation de la récidive à une politique responsable d’aménagement des peines

http://www.laurent-mucchielli.org/public/Recidive_et_amenagement_des_peines.pdf.

[7] Voir L. Mucchielli, «La posture autoritaire et populiste de Manuel Valls», Le blog de Laurent Mucchielli, Le Monde.fr, 5 juin 2011 et J. Le Bohec, « Les ambiguïtés de Manuel Valls, Délinquance, justice et autres questions de société, 19 août 2012.

[8] Voir Serge Halimi, Quand la gauche essayait, Agone, 2011.

4 réflexions sur “La (bonne vieille) stratégie sécuritaire de Manuel Valls.

  1. Ce que Valls apporte à la gauche | Le Blog de Jean-Jacques Urvoas

  2. Inutile de construire de nouvelles prisons. Pour vider celles-ci il serait peut-être temps que soient prononcées des peines lourdes, que celles-ci soient appliquées ce jusqu’au dernier jour sans aucune remise, à contrario de ce qui se passe aujourd’hui et nous pouvons être assurées tout comme cela a été le cas pour les automobilistes récalcitrants à porter la ceinture, 90 euros tarif unique, paiement obligatoire de l’amende aucune échappatoire possible, retrait de points…mesure efficace sans aucun doute. ainsi appliquer un tel régime aux infractions pénales et nul doute que nos prisons se videront d’elles mêmes… Qui prendrait le risque à titre d’exemple d’être emprisonné 3 voir 5 ans pour un vol ce dès la première fois sans espoir de remise de paine ou de liberté anticipée !!!
    Alors vider les prisons c’est possible mais pas en donnant un message de faiblesse à l’entention de celles et ceux qui se livrent au quotidien à des actes répréhensibles et en leur permettant de croiser d’autres victimes potentielles de leurs exactions, ce qui serait intolérable.

  3. « La nomination de Manuel Valls à Matignon aura permis au PS d’achever sa mue sécuritaire »
    Valls n’est pas (encore) à Matignon, mais le lapsus est peut-être, hélas, prémonitoire.

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